Arts et spectacles
"Crabdance" au Playhouse Théâtre.
L'auteur de cette pièce, Madame Beverly Si mon s, habite une maison extraordinaire à West Vancouver, où toutes les fenêtres et les portes sont rondes, où le plancher de la salle à manger est incliné et où les marches d'escalier sont décalées. L'inspiration pour écrire cette, pièce lui est venue un jour, alors qu'elle avait fini ses corvées de ménage et que le facteur venait lui livrer une quantité énorme de "junkmail" : des annonces, des publicités, en un mot, ce courrier qui n'apporte jamais rien et cause si souvent une déception nostalgique à la pensée de cette lettre qu'on attend, de ce message important qui n'arrive pas ou de cette communication dont on a quelquefois tellement besoin.
Ce que le "junkmail" apporte n'est que la parodie des relations entre humains. Les relations commerciales entre vendeurs et acheteurs. Le vendeur qui, à tout prix, doit écouler sa marchandise et l'acheteur qui souvent avec regret, succombe à la tentation.
Madame Simons a une vision émouvante et tragique de cette femme solitaire, veuve, pas trop vieille encore, dont les enfants ont quitté la maison et qui ne vit que de ses souvenirs et de ses rêves. Elle est encore femme, se croit encore désirable. Elle est encore mère et voudrait que le monde ait encore besoin d'elle.
C'est ainsi que Sadie Golden est née.
La pièce commence sur une scène où tous les meubles sont couverts de housses. Sadie fait le ménage, elle met des fleurs, qu'elle couvre aussi avec une housse. Ces housses doivent servir, je crois, plutôt à conserver le souvenir des personnes qui étaient assises dans ces fauteuils, qu'à empêcher la poussière de couvrir les objets.
Elle est très seule. Elle n'a plus personne dans la vie sauf les vendeurs qui viennent lui proposer des livres, des épices, des valeurs de bourse.
Mowchuck, un jeune, très timide qui vend des livres avec toutes les sciences et toute la philosophie de la vie incluse dans le prix. Devant les avances de Sadie, il doit avouer qu'il est encore vierge, ce qui excite naturellement la fantaisie de Sa-die-femme et touche profondément le besoin d'aimer de Sadie-mère. Entre les caresses et les gifles que reçoit Mowchuck, il est forcé de s'accomoder dans une chaise percée d'enfant.
Un autre vendeur apparaît : Dickens, vendeur d'épices. C'est l'habitué de tous les lundis. Homme d'un certain âge, il représente l'élément de sécurité dans la vie de Sadie. C'est l'homme régulier, qui lui apporte chaque lundi à 3 heures avec ses caresses, aussi le côté fantaisie de son pain quotidien : les épices.
Les deux hommes se battent d'abord, puis deviennent amis, car ils sont d'accord que leur but unique, en visitant Sadie est de "vendre" leur camelotte mais pas de faire dés sentiments.
Le troisième homme est Highrise, qui apparaît, pro-
bablement pour faire honneur à son nom, monté sur des échasses. Il veut vendre des actions d'une manufacture de briques. C'est l'homme des rêves de Sadie. L'élément fantaisiste, brillant, supérieur, beau et prometteur.
La pièce se déroule entre ces quatre personnages. Tout ce que je viens de raconter n'est pas exprimé d'une façon compréhensible. Le dialogue est loufoque, la présentation plutôt surréaliste. Je n'ai pas compris la moitié de ce que les acteurs disaient. 11b criaient ou murmuraient. Après le premier acte, j'étais même tenté de partir. Mais la pièce prend. Je ne comprenais pas, mais je devinais. C'était . comme une oeuvre d'art abstraite. Il n'y a rien à comprendre, mais il y a tout à sentir.
A la fin, quatre autres hommes apparaissent. Un entrepreneur de pompes funèbres, un prêtre, un garçon de café qui apporte du the, pour que tout le monde puisse, comme dans la vie bourgeoise, prendre une tasse de thé et un autre caractère en mufti, qui est peut-être l'imagex du mari défunt de Sadie.
Les trois vendeurs cachent leurs visages de peur de ce qui va arriver.
Les quatre nouveaux arrivés dévalisent Sadie en cassant sa tirelire en forme de chat énorme et énigmatique qui jusqu'à l'arrivée des vendeurs était le seul compagnon de Sadie.
Mais la destruction de son chat-tirelire n'émeut pas Sadie outre mesure. L a continuité de ce symbole de fidélité est assurée : Sadie ouvre un placard où nous voyons une multitude de tirelires en forme de chat énorme et énigmatique attendre l'éternité avec d'autres Sadies qui renaîtront et dont la seule raison d'être sera de consommer ce que les
vendeurs viendront lui offrir.
Sadie meurt. Le prêtre, l'entrepreneur de pompes funèbres, le garçon de café et le mari la mettent dans un sarcophage transparent et l'emportent après avoir couvert les trois vendeurs, immobilisés par la peur, avec des housses, en attendant la résurrection d'autres Sadies.
Contrairement à ce que James Barber, le critique du "Province" dit, qui trouvait la pièce mal jouée et mal dirigée, je suis sorti sitmulé par cette soirée. Ce sont des flashs, une compression d'événements et de pensées qui se déroulent sur une dizaine d'années. Ce n'est pas l'après midi dans la vie d'une femme solitaire. C'est sa vie entière, ses émotions, ses instincts et ses rêves, depuis le moment où elle est restée seule jusqu'au moment où elle meurt.
Les acteurs sont excellents. Jennifer Phipps dans le rôle de Sadie Golden m'a tout fait comprendre malgré le fait que j'ai très peu compris ce qu'elle disait. Il y a un pas de deux qu'elle danse avec Highrise qui est drOle et tragique. La danse amoureuse d'un coq et d'une poule.. Neil Dainard dans le rôle de Highrise, Hirchinson Shandor dans celui de Mowchuck et Sandy Webster dans celui de Dickens, sont des caractères humains émouvants sous ieiurs masques surréalistes et loufoques.
Le directeur, Madame France s Hyland, a bien réussi à traduire le problème de la solitude en une production théâtrale, q u i montre sous des apparences grotesques tout le drame de l'homme vieillissant à la recherche de son prochain qui veut bien accepter ses •services et son coeur.
PREVENTION DES INCENDIES
SERVICES OFFERTS AUX MUNICIPALITÉS
Plaisir d'hiver.
(Photo Iron Ore Company)
LE SOLEIL, 21 JANVIER 1972, IX