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L'Ami du Peuple Sudbury, .Ont. le 9 janvier, 195S
FEUILLETON DE L'AMI DU PEUPLE
LES DRAMES DE LA MISERE
ROMAN DE RAOUL DE NAVERY
Reproduit avec la gracieuse autorisation de
GB�NGEB FRERES, Limit�e
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NO 39
Le p�re Falot descendit rapidement l'escaliei. tandis que Bec-d'Oiseau reprenait la lecture des L�gendes de tous pays.
Le chiffonnier marchait rapidement, bien qu'il se sent�t las; le plaisir de rendre service � la petite.bossue donnait de l'�lasticit� � ses membres. Il avait u-ne gaiet� nouvellement �panouie dans le.coeur. Tout en serrant dans sa main le papier renfermant l'�chantillon du fil d'or, il se souvenait des paroles de l'abb� Bernard.
�Le-flaint pr�tre l'a dit, murmurait-il, la pri�re
fait violence au ciel, et l'on obtient tout du Christ
par l'intercession de Marie. Je ne sais plus � quels
moyens humains recourir pour arriver � mon but,
mais je m'adresse � Dieu, mon consolateur et mon
p�re, et je serai exauc�.
Le p�re Falot, arriv� devant la boutique de passementerie o� il devait trouver le fil d'or de Bestiole,
tourna le bouton de la porte et entra. Le magasin �tait rempli de clients. Les jeunes gens d�bitaient la soie, la passementerie; les'demoiselles de comptoir, du fil, des aiguilles, des dentelles en fa�on de point d'Espagne.
Le p�re Falot resta un moment assez- embarrass�. Enfin un jeune homme lui demanda:
�Que faut-il � monsieur?
Alors le chiffonnier tendit son bout de fil d'or.
�Fin, demi-fin ou gros? reprit le commis.
�Or fin, �pliqua le p�re Falot.
Tandis que le jeune homme cherchait ses bobines, le chiffonnier, debout dans le magasin, tournait machinalement entre ses doigts le papier qui avait renferm� son �chantillon et que Bestiole lui avait remia. ^ s , < ' ,
� Par un sentiment naturel, instinctif � < quiconque tient un papier ,et n'a rien de mieux � faire qu'� s'enqu�rir de ce qu'il contient, le p�reFalot regarda la feuille qu'il tenait entre ses doigts. t
C'�tait une feuille de papier �pais, et bien �loign� des raffinements de grain et de satinage des papiers � lettre d'aujourd'hui. H y a dix-huit ans, la mode des enveloppes n'existait gu�re, et cette feuille avait �t� pli�e dans sa hauteur d'abord, en travers ensuite; elle gardait � l'endroit du cachet des vestiges et cire. Le cachet avait �t� us�, bris�. Sans savoir pourquoi il-s'inqui�tait de ces d�tails, le p�re Falot regarda l'adresse. Elle portait: LOUIS CAMOURDAS. Dans le haut, le mot "press�" prouvait que ce billet �tait d'une certaine t importance. Enfin le chiffonnier regarda le timbre postal. La lettre avait �t� jet�e dans la bo�te situ�e place de la Bourse, et la date du 21 novembre 1857 restait visible sur, le cercle tamponn� � l'encre grasse.
Cette date arracha un cri involontaire au chiffonnier.
Jusqu'alors, son �tude de cette vieille feuille de �papier avait �t�, disons-nous, une sorte de curiosit� machinale, un moyen d'employer son temps, en attendant que la bobine de fil f�t remise. Mais ce chiffre: 21 novembre 1857 acc�l�ra les battements de son coeur, et couvrit soudain sa vue d'un nuage.
Vingt et un novembre! la veille du jour o� sa fortune et son honneur avaient sombr� dans le m�me sinistre! |
L'�criture de l'adresse �tait ferme, distingu�e, une belle �criture tranquille de n�gociant plut�t que d'homme de loi.
Le p�re, Falot d�plia la feuille de papier.
Elle contenait deux lignes.
Deux lignes, dont l'impression fut telle sur le chiffonnier, qu*U laissa �chapper un cri sourd, et tomba de toute sa hauteur sur le parquet.
Cet,accident causa dans le magasin un mouvement g�n�rai On s'empressa autour du chiffonnier,
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re qu'il le trouverait ou l'obtiendrait jamais, le chiffonnier murmura avec l'accent de la reconnaissance:
�Merci, mon Dieu! mon Dieu!
Il se leva tout chancelant, remercia pour les soins dont on venait de l'entourer, prit la bobine de fil d'or, la paya et sortit.
O� aller? que faire? |
La t�te du p�re Falot bouillonnait comme-un volcan.
Il ne pouvait se d�cider � aller chez Bestiole. Il lui fallait d'ailleurs le temps de s'accoutumer � sa joie, et de prendre ufie r�solution.
Un caf� �tait ouvert � quelques pas; il y entra.
Apr�s avoir.demand� un verre d'eau et ce qu'il fallait pour �crire, Austin Aurillac �tala sur sa table la lettre adress�e � Camourdas ,et la relut encore.
On se souvient que le soir du jour o� Nerval meubla l'appartement de Bestiole, afin d'avoir le loisir de chercher dans les meubles anciens, le ccmpnce de l'usinier rentra le soir chez lui, porteur de deux bouteilles d'eau-de-vie,, et commen�a � boire, tandis que sa fille dormait dans la petite chambre blanche.
,. Camourdas, plus railleur que lurieux, r�p�tait, en l'adressant � Nerval, absent, l'�pith�te ue "vieux Mo-hicari" tout en vidant sa fiole.'
Puis, pour se donner � lui-m�me la triomphante satisfaction de revoir ce papier auquel Nerval ajoutait tant de prix, cette lettre qui mettait l'usinier millionnaire � la disposition du mis�rable Camourdas, l'incendiaire tira successivement ae ses poches tous les papiers qu'il y trouva eniouis, les pla�a sur la table, but encore, et se . souvenant enfin que la lettre, �tablissant la complicit� de Nerval dans
l'incendie de la Villette, avait �t� cousue par lui en-
re l'�toffe t la doublure de sa veste, il prit un couteau, se mit � d�coudre cette doublure, et en tira le
papier qui �tait le plus clair de son revenu, et :sur
lequel reposaient toutes ses esp�rances d'avenir.
Puis, par un mouvement brusqu�, apr�s avoir fait
rouler tous ses papiers � terre, factures, prospectus
et caetera, Camourdas, de plus en plus ivre, plia la
premi�re feuille de papier" qui lui tomba sous la
main la glissa dans sa veste, la piqua � l'aide de
deux �pingles et s'endormit.
Le lendemain matin, lorsque Bestiole traversait la chambre afin de chercher le papier n�cessaire pour pelotonner^son fil d'or, elle vit � ten-� un lettre vieille, froiss�e, chiffonn�e, coup�e aux angles,''la' releva et s'en serv�t pour'rouler dessus, sans la^rW- yec des ' voleurs,' s'enfermer dans'des boug�s* et tu-
vite, mais sa t�te br�lait tellement qu'il �prouvait le besoin de marcher.
Une pluie fine commen�ait � tomber; Aurillac y exposa son front
Ainsi, disait-il, ce brave coeur va trouver la r�compense dans l'accomplissement de ea t�che. Il a r�v� mon salut, et ce salut est prochain. Il s'est impos� un but, et ce but, il le touche! Oh! Dieu est bon, Dieu est prand! Dieu est plein d'amour et de mis�ricorde!
Une demi-heure plus tard, Austin Aurillac sonnait vivement � la porte du jeune avocat
�Monsieur. Audoih? demanda-t-il au vieux domestique. /
�Mon ma�tre n'est pas encore rentr�, r�pondit celui-ci.
�Puis-je l'attendre? �Certainement.
Aurillac fut introduit dans le cabinet o� la lampe allum�e, sur le bureau, prouvait assez que Maximi-lien ne comptait pas de cit�t se livrer au sommeil. CHAPITRE XH
LA MORTE
Aurillac fut cruellement d��u dans son impatience de voir Maximilieh et de lui confier la d�couverte qui changeait brusquement toute sa vie. Il avait besoin de crier � un ami: �Libre! je suis libre! '
Car la libert�, pour Aurillac, ce n'�tait pas seulement de marcher sans manille au pied, sans casaque de for�at et sans bonnet vert; la facilit� d'aller et de venir sans redouter l'argousin et de dormir sans trouver � ses c�t�s un. immonde compagnon de cha�ne.
Sans doute, pendant les terribles ann�es de sa captivit�, aussi bien quand il avait v�cu seul, enferm� dans une �troite prison, que durant les longues heures du bagne, il avait demand� � Dieu, � genoux, avec toute la ferveur d'une �me �prouv�e et confiante, le droit d'errer � l'air libre, sous le soleil, de respirer ,d'agir comme un homme, et non plus comme une machine num�rot�e.
Mais, en brisant ses fers, Aurillac n'avait pas recouvr� sa libert�.
Ne s'�tait-il vu oblig� de cacher son nom, d'abord sous le nom du porte-balle; puis, la personnification du p�re Falot n'avait-elle pas � son tour absorb� celle du marchand forain? , o <
Sans doute Aurillac avait cherch� ses ennemis, ses accusateurs, mais non point en face et,, aid� par la avait d�; pour arriver � son but, frayer a-
garder davantage, le fil d'or qu'elle voulait d�brouiller. ,
Quand, le lendemain, son p�re la pria de coudre la doublure de sa veste, elle ob�it. Camourdas, sentant un papier entre les deux �toffes, ne songea pas m�me � regarder" s'il ne s'�tait pas tromp�.
C'est ainsi que Camourdas portait pr�cautionneusement dans son v�tement un prospectus de cigare, tandis que la petite Bestiole d�vidait son fil d'or sur la pi�ce � conviction du crime d'Archille Nerval.
On comprend ais�ment la foudroyante �motion d'Austin Aurillac.
Il tenait entre ses mains la preuve de son innocence.
H saurait d�sormais confondre Nerval et demander aux tribunaux que l'on pronon��t entre euxT
Le crime de l'usinier et de Camourdas �tait visible pour tous, et nul doute que l'ouvrier ne s'empress�t de faire des r�v�lations, afin d'obtenir un peu d'indulgence, i
Ainsi Aurillac pouvait dire son nom bien haut; il lui serait loisible de redemander � tous ses enfants perdus. Il allait passer brusquement de la nuit dans laquelle se cachait le for�at �vad�, � la lumi�re qui se fait pour l'honn�te 'homme m�connu. ^
II se disait tout cela comme dans un r�ve. Son coeur battait � lui briser la poitrine; des �tincelles passaient devant ses yeux; tant�t il lui semblait que sa t�te �tait pleine de pens�es joyeuses, et tant�t elle lui paraiesait si lourde qu'il ne pouvait la soulever.
Chose �trange! il ne se sentait plus de h�te, de pr�cipitation.
Il se recuillait dans sa joie. Cet homme, isof� dans l'angle d'un caf� borgne, pria de toute la ferveur de son �me.
Quand il se fut habitu� � l'id�e qu'un miracle venait de le sauver, Austin Aurillac se demanda ce qu'iFallait faire.
�e mot (congestion) fut prononc�, et comme un ��n ne pouvait s'accoutumer � l'id�e de se trouver
m�decin demeurait � quelques pas on l'envoya chercher en toute b�te.
Celui-ci comprit vite qu'il s'agissait d'une �mo->tlon violente plus que d'un coup de sang; Austin Auillao fut ranim�, gr�ce � un flacon d'�ther et � une cuiller�e de cordial �nergique.
Quand il ouvrit les yeux, il ne se souvenait d'abord de* rien ,et regarda ceux qui l'entouraient avec autant de surprise que d'inqui�tude.
Tout � coup l'angoisse le saisit
�Mon papier! cria-t-il, mon papier!
H le 'tenait dans sa main crisp�e, et si raidie que nul n'e�t'�t� capable de l'ouvrir.
Quand il comprit ' qu'il avait en sa possession ce
ce soir-l� en face de Bestiole. Ne devait-il pas le lendemain livrer son p�re � la justice?
Le chiffonnier �crivit un mot � Bec-d'Oiseaul�our l'avertir qu'une affaire urgente l'emp�chait de Je rejoindre chez la petite infirme. Il lui enjoignait de rentrer sans s'occuper des chiffons pour cette nuit, et il ajoutait que. l'apprenti dans l'art de la typographie devait ne"" point s'inqui�ter de'l'absence sans doute assez prolong�e de son vieil ami, ; ' '
H pla�a la bobine de fil d'pr dans la,lettr�, remit le tout � un commissionnaire, en lui recommandant
toyer des assassins. Il avait fallu masquer son �me autant que son visage, imposer silence � ses r�voltes, surmonter ses1 d�go�ts, subir toutes les �preuves de la patience, apr�s avoir support� celles de la douleur.
Non, il n'avait pas �t� libre! Il sortait le soir, il exer�ait la nuit un m�tier fait pour r�volter ses habitudes; sauf l'abb� Bernard et 'Maximilien, il ne comptait point d'amis. Les seuls moments pendant lesquels il lui �tait permis de laisser battre son coeur au contact des affections humaines, �taient ceux qu'il passait pr�s de Colombe ou bien encore dans la chambre de la petite habilleuse de poup�es, tandis que Bec-d'Oiseau lisait les pages d'un livre instructif.
Pauvre Bestiole! ce n'�tait point sa faute si son p�re �tait un mis�rable, et Aurillac se promit de prot�ger celle dont il allait faire une orpheline.
H�las! le mal commis retombe souvent sur les Innocents! La petite infirme ch�rissait son p�re, en d�pit de ses torts, de ses brutalit�s, et Aurillac devinait quel d�chirement d'�me secouerait ce' corps d�j� si fr�le. ' "
�Je sais ce que Je ferai; pensa l'ancien for�at; je conduirai Bestiole chez Colombe; tandis que celle-ci habillera d'�l�gantes Parisiennes, Bestiole copiera leurs toilettes pour les poup�es Huret; Bestiole trouvera une soeur'a�n�e, une jeune m�re dans Colombe. Celles qui ont souffert s'entendent si bien � con-eoler. Je ch�ti�, mais je ne me venge pas! Dieu m'est t�moin que s'il m'�tait possible de reprendre mon nom, mon rang, mon honneur, sans d�noncer personne, je renoncerais � la jouissance de punir. Mais la loi est Implacable dans ses exigences. Pour chaque crime, s'il exista un coupable, il faut un ch�timent; p�ur prouver mon^ innocence, je dois produire le criminel! Pour avoir le droit de chercher les traces perdues de ma femme et de mes .enfants, il me faut atteindre le " p�re de Bestiole et le jp�re d'Ang�lie.' ,
Une, pens�e douloureuse traversa la joie d'Aurillac. "" ~ � ( �
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II �prouvait pour la fille de son implacable ennemi une sympathie si vraie, il admirait si compl�tement cette ang�llque fille, que l'id�e des larmes qu'elle allait verser l'attendrit
�SI je la,voyait � cette heure, si dit-il je lui pren-
de courir chez Mlle Camourdas, puis, tranquille de^, drais-Jes mains et, la regardant bien en face, je lui
ce c�t�, Aurillac se leva. �Je trouverait. MJaximilien chez lui,
dit-il >
donnerais .le conseil adress� par Hamlet � Oph�lie:
qu'il avait tant cherch�, tant d�sir�, sans oser croi- H aurait pu prendre une voiture afin d'arriver plus
MM*
� A suivre �
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