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L'AMI DU PEUPLE
JEUDI, LE 16 4VLAI 1946
FEUILLETON de L'AMI DU PEUPLE
par
Le narrateur narre sa pas sion, avec cet accent de sinc�rit� qui rend plus odieux le travestissement historique. Jean B�rub� s'aper�oit que, depuis quelques instants, Paul Comelau, plus p�le, fait voir une nervosit� de mauvais augure. Opportun�ment, Jean glisse au cousin un conseil de prudence :
�Laisse-T� faire. Simplement b�te et ignorant. Sur ce, une question du vieillard fait se dresser, avec plus d'attention, les oreilles des deux jeunes gens:
�Mais comment s'y est-on pris pour contenir la col�re de ces gens-l� ? Car. enfin un peuple entier n'a pas d� subir pareille violence sans quelque envie de se r�volter...?
�Oh! rien de plus simple, . r�pond le guide. Cette race �tait l�che, dress�e par ses pr�tres � plier le cou. D'ailleurs, Winslow �tait un homme � poigne, J'�nergie, l'audace m�me. Parmi les prisonniers, quelques-uns s'essay�rent � parler haut. Un jour, � la faveur de la nuit, vingt-quatre jeunes gens s'�chapp�rent des vaisseaux. "Tr�s-, bien", se cli^ Winslow. Il fait . venir l'instigateur du coup, le conduit sur sa ferme, y met le feu sous ses yeux. Ensuite, avertissement est donn�, � tous les Fran�ais que si. d'ici vingt-quatre heures, les vingt-quatre fugitifs ne sont point livr�s, le m�me sdrt attend les fermes d� tous, y compris.' la confiscation de leurs biens.
Le guide raconte l'�pisode d'un ton gaillard, plein d'admiration pour ce coup de ma�tre. Il conclut avec ga�t�:
�Menacer de br�ler leurs fermes et de confisquer leurs biens ! Une bonne plaisanterie du brave Winslow. Il va de soi que la d�portation entra�nait d'elle-m�nie la confiscation des propri�t�s; et l'incendie de tout les pays �tait d'ores et d�j� d�cid�. N'importe, accompagn�e de cette habile -mise en sc�ne, la menace produisit son effet. Winslow, homme d'esprit, ne manqua pas de s'amuser fort de sa fumisterie, ajoute le guide, riant.
Son �clat de rire est court. Une poigne de fer plus tenace qu'un �tau lui �treintf la gorge, pendant qu'une voix haletante de col�re lui r�le en pleine figure :
�Ah ! tu trouves �a. dr�le, toi, des mis�res � faire pleurer les pierres...
De sa poigne d'hercule, Paul Corn eau �l�ve au bout de son bras gauche le gros homme courtaud. La face convuls�e, violac�e, la victime agite ses iambes ballantes, dans le vide. De sa main droite rest�e libre, l'Acaclien. s'appr�te, � lui 'administrer des giffles retentissantes. Mais que se passe-t-il ? On dirait la/ main. d'hercule soudainement paralys�e. Avec une sorte de rage douloureuse, Paul Comeau s'�tait ru� sur l'insulteur. De le sentir, maintenant, entre ses doigts, si /t mol, si terrifi�, le
vengeur serait-il subitement d�sarm�? Il reste l�, � mesurer sa victime, � lui fouiller le visage d'un regard avide... Soudain, les doigts de l'Aca-
dien se d�tendent; la loque humaine s'affaisse de tout son poids. Il est temps. Un moment interdit par la brusquerie de l'attaque, le vieux monsieur s'�lance au secours du guide, suivi de sa compagne. Celle-ci, l'ombrelle lev�e, va en enfoncer la pointe dans la nuque de Paul. Jean B�rub�, interdit, lui aussi, par l'inattendu de la sc�ne, s'�lance � son tour et saisit le poignet de la vieille femme. La soudaine arriv�e de ce nouvel assaillant jette la panique dans le groupe des touristes. Le guide, le premier, a d�j� donne l'exemple de la fuite. A peine a-t-il aper�u Jean B�rub� que, sans m�me remettre un peu d'ordre en ses ha- < bits, il prend ses jambes � son cou, suivi du vieux couple, qui ferme la retraite, et, de temps � autrer se retourne pour-�tre bien s�r de n'�tre -pas pour-"" suivi, - ~~ *"""
Paul Comeau et Jean B�rub� s'app�tent � s'amuser de l'aventure. L'apparition "d'un autre personnage leur glace le rire sur les l�vres. M. Hugh Finlay est l�, devant eux, presque aussi ahuri que 'les fuyards." Il a �t� t�moin de'la sc�ne, du moins de 1$ derni�re partie. Pendant quelques $e- -cbndes, les trois hommes sec regardent 'a v�fc, .embarras, se , demandant lequel d�s trois va;
le premier, rompre le silence.' M. Finlay prend la parole:
�Que s'est-il pass�? Que venez-vous! de faire, mes jeunes amis?;
Jean B�rub� a vu tout de suite la gravit� d'une r�ponse franche et directe. Trop loyal toutefois pour mentir ou dissimuler:
�Le jeune homme que vous avez vu passer, s'est moqu� de nos malheurs, je veux dire des malheurs de la race, aca-dienne. Car, nous sommes A-cadiens, mon compagnon-.et moi. Lui est deMa famille des Comeau; moi, j'ai bien l'honneur d'�tre un B�rub� dit Pel-* lerin. Devant l'insulte, le sang a �t� plus fort que tout le reste,,. '
II n'en dit p�is davantage. M. Finlay p�lit affreusement. Longuement, il fixe les deux jeunes hommes, les mesure des pieds-4' la f�te avec des yeux pleins d'effroi; puis, sans dire un mot de plus, � le vieillard tourne le dos et s^nfonce dans le bois, vers la pointe extr�me _ du promontoire.
Quelques moments plus tard, les deux jeunes gens |descen-dent le ^Blomidon. En route, ils osent � peine commenter les incidents dont ils viennent d'�tre les acteurs bien involontaires.
�Il aurait bien pu choisir un autre jour pour .venir au Blomidort, n'en, "risque pas nVqins Paul, que la rencontre .d� 'patron, en/pareil moment, n'a' gu�e^ amus�. - ; ' ' " '
�Bien-; <6u�;;/reprend Jean,
qu'est-ce qui a pu l'amener ici et que va-t-il faire l�-haut? �En a-t-il fait un visage de l'autre monde, lorsque tu lui as dit qui nous �tions! Sans comparaison, on l'aurait pris pour Un mort qu'on d�terre. Et tout de suite: �Il y a pire que tout �a. Regarde ce qui m'est rest� au bout des doigts. �De la barbe? �Comme tu dis: de la barbe postiche. Ce n'est pas de la chair qui est au bout des poils, mais de la colle. Sais-tu pourquoi, maintenant, je n'ai pas ross� davantage ce gros courtaud ! J'�tais � deux pas r'e lui que j'avais d�j� une doutance.
Le lendemain, Jean B�rub(� songea tout de bon � pr�parer son d�nart. Apr�s l'incident de la veille, rester un jour .de nlus � Morse Cottage lui paraissait au-dessous de l'honneur. M.. Finlay avait-il or�vu cette d�cision du jeune homme? Le jour m�me, il lui faisait remettre ce court billet: "Je suis souffrant. Voulez-vous, d'ici quelques jours, ne prendre aucune d�cision? Aus-,' sit�t ciue jex le pourrai, nous causerons. Je vous demande ce dernier service .par amiti� pour moi." �
Devant cette pri�re du vieillard, Jean, un peu h�sitant d'abord, dompta sa r�pugnance. Il 'r�solut d'attendre. Sur l'effarement de M. Finlay au cap Blomidon, il ne gardait aucune illusion. Le trouble du ^ "provenait, pour une
part, de l'aventure humiliante survenue � son fils, mais surtout de l'explication fournie par les jeunes gens. Plus que tout le reste, ces simples mots : "Nous sommes Acadiens... Je suis un B�rub� dit Pellerin", avaient fait p�lir M, Finlay.
Un autre incident rend plus p�nible encore �' Jean B�rub� le s�jour � Morse Cottage.
Pendant les trois jours de vacances des deux jeunes gens, Miss Burrbde a fait sa r�apparition � , Morse Cottage. Du foois de charpente s'entasse sur les pelouses, � quelque cent pieds du chalet.
Un matin, comme Jean B�rub� est en train d'examiner l'amas de planches, d� madriers et de poutres, M. Allan s'approche et mi-bienveillant, mi-hautain:
�Vous savez, sans doute, ^ pourquoi ce bois?
"�Monsieur se marie ? On le dit, du moins.
^-On dit vrai, et je veux avoir mon petit chez-moi en attendant l'autre.
Du. geste, il indique Morse Cottage. Puis, sur le ton du ma�tre :
�C'e'st vous dire que je vais prendre la direction des fermes et que vous �tes libre, M. B�rub�...
Les deux hommes se regardent un instant, comme deux lutteurs qui se mesurent. Un peu interloqu� tout ' d'abord, Jean B�rub� se ressaisit:'
�Vous savez,' sans doute,r que c'est votre p�re qui \B. re-
quis mes services et pour trois ans. Hier encore, il m'a pri� de rester. J'attendrai donc ses ordres.
Allan n'ose r�pliquer. Il tour-1 ne les talons et laisse l� Jean B�rub�, bl�me et interdit.
�Est-ce l� le d�nouement de la sc�ne du Blomidon? songe celui-ci. Cette invitation � m'en aller, me la fait-il de lui-m�me ? Ou mon .cong� serait-il chose arr�t�e dans l'esprit de son p�re?
Ce jour-l�, Jean B�rub� se sent incapable d'aucune besogne. Pour la premi�re fois, le doute de soi-m�me et de son oeuvre l'envahit : souffrance -pire que l'�chec pour mettre le courage en d�sarroi. L'�chec n'est souvent qu'une �preuve salutaire qui pr�pare le repliement des, forces de revanche. Tout autre l'erreur ou le doute sur le choix ou la valeur de son destin. Se, sentir la proie d'un r�ve chim�rique, n'�-treindre que des nu�es, au lieu de la r�alit�, nulle .infortune pire que celle-l� pour �'hom-me d'action qui sait le prixjle lai vie.s
Plus que jamais Jean- B�rub� a peur de. la grandeur apparemment excessive de son dessein. Qu'estTif venu faire � la Grand/Pr�e,? Partir de si loin,, lui, p'etitl' gars des montagnes laurentjennes, pour racheter en Acadie'une terre qui n'est "pas gT vendre! Lui, le pauvre isol�, vie ^parfait inconnu, entreprendre xla conqu�te :d'un pays! N'est-il p�s^le dupe d'un r�ve "trop ambitieux, d�mesu-
r� jusqu'� en �tre fou? En d�finitive, ne serait-ce "pas le cousin Paul qui aurait raison.? Souvent, Jean B�rub� a con-cime: se sentir seul, en pleine nuit, les yeux grands ouverts, nu l'angoisse des r�veurs de � soutenir le fardeau d'une �crassante pens�e.
Mais enfin le mariage du fils Finlay, le petit chalet en voie de construction, l'en avertissent clairement: fini le r�ve trop beau pour �tre humain! Malgr� tout, Jean pr�f�re cette certitude � la torture du doute. Pourquoi faut-il seulement que la supr�me �preuve ait -si mal choisi son heure?
L'autre jour, lors de la descente du Blomidon, un acc�s de toux "l'a pris en route. Ce d�chirement de poitrine, ce r�-sonnement de caverne, il les conna�t trop. Il conna�t aussi cette langueur mortelle qui le-laisse sans force devant sa ) t�che, plein de d�go�t', pour ses besognes les plus aim�es. Et Jean B�rub� r�fl�chit aVec amertune qu'� ce d�nouement pourrait aboutir son aventure: n'�tre venu . en, Acadie que * pour laisser ses os dans la terre des -aieux! N'�tre, lui aussi, comme les Finlay, que la fin d'une race!
A SUIVRE*
N'OUflLIEZ^PAS
� LE NOUVEAU ' , FEUILLETON
VENIR; BIENTOT
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